

S’il est un genre qui ne s’est jamais acclimaté en France, c’est bien le film d’espionnage. La fortune d’OSS 117 (la parodie, pas l’original) repose d’ailleurs sur cette incompatibilité. Elle garantit au moins à L’Affaire Farewell le mérite de l’originalité. Récit d’une affaire qui affaiblit les services soviétiques au début des années 1980, le film de Christian Carion est porté par un scénario précis qui nourrit un duo d’acteurs inspirés, Guillaume Canet et Emir Kusturica.
Pierre Froment (Canet), jeune ingénieur français en poste à Moscou, est contacté par Sergueï Grigoriev (Kusturica) qui se présente comme un colonel du KGB. Il se déclare prêt à communiquer des informations qui permettront au camp occidental de neutraliser la campagne de pillage de secrets industriels par l’URSS. Dans la réalité, l’obtention de ces secrets permit à François Mitterrand de démontrer à Ronald Reagan qu’il était un « bon » Occidental, malgré la présence de ministres communistes dans son gouvernement.
L’Affaire Farewell, esquisse sommaire du grand jeu planétaire, s’écroulerait peut-être sous le poids de son ambition sans Emir Kusturica. Le réalisateur du Temps des Gitans (1988) occupe tout l’espace de fiction du film, gonflant son bureaucrate de la Loubianka jusqu’à lui prêter des proportions shakespeariennes. Idéaliste, Grigoriev refuse tout autre paiement que quelques bouteilles de cognac et des disques de Queen pour son fils, un adolescent qui ne rêve que de Walkman et de Levi’s.
Moscou d’avant-McDonald’s
Le petit ingénieur français est tout son contraire. D’abord dépassé par le fardeau, houspillé par une épouse que ses mensonges ne trompent pas, il prend peu à peu goût au jeu de l’espionnage. Guillaume Canet négocie cette transformation avec subtilité, aidé, pour définir la médiocrité initiale de son personnage, par les modes vestimentaires et capillaires de 1981. Plus tard, le scénario lui prête des aspirations à l’héroïsme un peu moins convaincantes.
Si la trajectoire de Grigoriev reste fascinante du début à la fin du film, la dernière partie de L’Affaire Farewell – qui s’éloigne de plus en plus de l’exactitude historique – n’est pas tout à fait à la hauteur de son début. Christian Carion prend un plaisir manifeste à aller et venir entre un Moscou d’avant-McDonald’s et les boîtes de nuit pour oligarques et la Maison Blanche (reconstituée) et l’Elysée (c’est le vrai). On dirait qu’il répugne à explorer plus avant la formidable ambiguïté du traître russe, laissant à son acteur toute la charge de ce travail.
Sur le coup, cette faiblesse apparaît à peine. Le récit continue d’avancer vite, et on reste sous le charme de cette invitation, inhabituelle dans le cinéma français, à construire de la fiction sur notre passé récent.
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