Culture

Quand Eric de Montgolfier a mis Bernard au tapis

Scène de la série « Tapie », avec Laurent Lafitte (Bernard Tapie) et David Talbot (Eric de Montgolfier).

C’est une scène d’anthologie, un face-à-face digne d’un conseil d’administration dans la série Succession, une joute verbale à la fois jubilatoire et tragique. Nous sommes le 23 juin 1993, dans le bureau du procureur de Valenciennes. Bernard Tapie a provoqué ce rendez-vous pour convaincre Eric de Montgolfier d’abandonner les poursuites contre lui dans l’affaire du match de football truqué entre l’Olympique de Marseille et Valenciennes. C’était mal connaître le magistrat. Les illusions de l’ancien ministre de la ville, président de l’OM, vont se fracasser sur la pugnacité de « l’indirigeable ». En 1995, Tapie est condamné à deux ans de prison dont huit mois ferme, et passera cent soixante-cinq jours en détention. Voilà pour les faits.

Ce qui s’est réellement passé ce soir-là entre ces deux hommes n’a pas grand-chose à voir avec cette scène désormais culte, trente minutes de dialogues ciselés au cordeau par les scénaristes de la série Netflix Tapie. Mais c’est justement grâce à la fiction que l’on s’approche le plus de la véracité de ces personnages que tout oppose, rendant presque palpable le choc entre deux visions du monde irréconciliables. L’un, fils de chauffagiste, est un ambitieux, séducteur et flambeur, qui n’a pas les codes et franchit toutes les lignes blanches. L’autre, enfant d’un riche industriel, est un moine-soldat de la République, calme, austère et droit, qui se considère comme « la voix de la raison dans un monde déraisonnable ».

Dans une ambiance crépusculaire, comme coupée du monde, en alternant les plans serrés sur les visages de Laurent Laffite et de David Talbot éclairés par une unique lampe de bureau, la mise en scène déroule progressivement tous les aspects psychologiques et stratégiques de la confrontation. La flatterie, le mensonge, l’intimidation, la victimisation, du côté de Tapie. La détermination, l’humour, la probité et l’autorité chez Montgolfier. A la fin de l’entrevue, alors que l’homme d’affaires le traite de « fouille-merde » et menace de « le briser », le magistrat s’emporte – « Enfin ! Vous n’avez pas 4 ans, Bernard Tapie ! » – et finit par donner l’estocade : « Vous auriez pu être un météore, vous n’êtes qu’une nébuleuse. Vous avez vécu par l’image, vous périrez par l’image. » Assommé, le flamboyant « Nanard » repart sous une pluie diluvienne au volant de sa voiture de luxe, alors que la radio diffuse Don Giovanni, de Mozart.

Piégé par la légende qu’il a forgée

Lorsque Eric de Montgolfier a quitté son dernier poste, à Bourges, en juillet 2013, la journaliste Pascale Nivelle, de Libération, racontait qu’il avait méticuleusement rangé ses allumettes en petits tas sur son bureau et emporté sa statuette de Don Quichotte, autre chevalier errant en quête d’exploits. Interrogé par de nombreux médias sur cette scène de la série, celui qu’on surnommait « le bourreau de Béthune » a expliqué que, s’il ne se retrouvait pas dans la description de ce procureur fourbe, et que Tapie ne s’était pas montré aussi arrogant, certaines parties du dialogue avaient en effet été prononcées plus tard, lors du procès. Dans un entretien à France 3, en 2021, il se rappelait surtout « l’air un peu conquérant de Bernard Tapie entrant dans son bureau avec cette idée que, s’il y avait un dompteur, c’était forcément lui, et que je finirais par être mangé ». La veuve du surnommé « Saint-Bernard des canards boiteux », Dominique Tapie, a, elle, déclaré à BFM-TV, au sujet de cette reconstitution : « Montgolfier lui fait la leçon. Il est comme un petit garçon. Vous imaginez Bernard ? Ce n’est pas possible. Mongolfier était un peu moins méchant et mon mari était un peu plus subtil. »

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